Politique – Dans ma contribution du jour au site d’informations The Huffington Post, je reviens sur le décès de l’ancien Maire de Tours, Jean Germain : retrouvez le texte intitulé “Jean Germain: l’honneur aux chiens” à l’adresse suivante http://www.huffingtonpost.fr/francois-pelletant/suicide-jean-germain_b_7054870.html
A présent que le corps est refroidi et que les obsèques de Jean Germain se sont achevées en ce lundi 13 avril, aurions-nous cinq minutes pour réfléchir à ce drame que nous aurions pu éviter?
Je dis “nous”, car lorsque la mort d’un homme est consécutive à l’action des institutions de la République, c’est nous tous qui devons-nous sentir responsables. La justice n’agit-elle pas au nom des Français?
Contrairement au suicide de Pierre Bérégovoy en 1993, le débat est bien pauvre après celui de Jean Germain. Où est donc passé notre esprit critique? Il y a trois mois, la France se soulevait pour raviver l’héritage des Lumières, mais c’est maintenant qu’il faudrait s’en servir. Soyons Charlie jusqu’au bout.
Ce ne sont pas les étincelles qui manquent pour mettre le feu aux poudres, mais pour l’instant nous n’avons vu, au carnaval médiatique, que des pétards mouillés: le président du Sénat, second personnage de l’Etat a dénoncé: “Ce système qui s’emballe sans discernement, sans considération pour l’honneur, peut amener un homme à commettre l’irréparable”. Personne ne s’interroge sur le fait de savoir qui est “ce système” ainsi désigné. En 1993, François Mitterrand avait été invité, dans une interview, à expliquer qui était le “on” de la phrase “on ait pu livrer aux chiens…” et qui étaient “les chiens”? Il n’avait pas voulu répondre.
Pourquoi les mêmes secrets les mêmes “non-dits” 22 ans plus tard?
Celui qui semble le plus audacieux serait l’avocat Dominique Trincaud qui pointe un “procureur politiquement engagé” et une connexion entre la politique et la justice.
La France a connu depuis 30 ans une judiciarisation croissante de la vie politique. Depuis les enquêtes d’Eva Joly, publiées quotidiennement dans le Monde, notre pays n’a eu de cesse que de chasser les moindres turpitudes de ses élus et de faire connaitre à tous les moindres soupçons qui pèsent sur eux.
Cette pratique trouve certainement sa place dans d’autres cultures plus scandinaves, plus anglo-saxonnes, ou dans d’autres pays où l’on peut, sans émoi, exhiber un président du FMI menotté devant les caméras. Mais en France cette politique est un triple échec.
On a cru lutter contre la corruption de quelques-uns en accentuant les mises en cause de tous. Cela est aussi absurde que d’opprimer une communauté pour expier les méfaits de ses membres les plus insaisissables. En cherchant les moindres incartades des élus et au besoin dans leurs activités extra-politiques, on a banalisé les actes les plus graves. Allez prendre une bière à Levallois-Perret et vous entendrez le peuple rire de dérision au sujet des ennuis judiciaires du député-maire.
On a cru donner l’image d’une justice intègre et égale pour tous, mais les fuites, les emballements pour des affaires qui finalement n’en étaient pas, l’ont discréditée. Combien de non-lieux, combien de relaxes ont alimenté le sentiment d’une justice indulgente avec les élus et dure avec les autres?
On a cru assainir la politique, mais la politique s’est adaptée en instrumentalisant bien souvent cette nouvelle pratique justicière. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les procès-verbaux des conseils municipaux et autres assemblées d’élus à 30 ans d’intervalle. Les débats d’idées ont disparu et ont laissé place aux procès de toutes sortes. Pour battre un homme politique aujourd’hui on ne le conteste plus, on lui cherche des casseroles. Cela, je le vois dans ma propre commune où mon opposition est bien plus active auprès des tribunaux que dans les débats au Conseil municipal (0 minute et 0 seconde pour le débat budgétaire 2015). Il y a peu, j’avais dans mes adversaires politiques, un fonctionnaire de l’inspection du travail. Eh bien, curieusement, j’ai subi 3 contrôles dans mes activités, pourtant extra-municipales, dont certains engagés contre toute cohérence, et d’autres relayés par la justice.
Le résultat de tout cela est un énorme gâchis. A un moment où de moins en moins de nos concitoyens se sentent citoyens. À un moment où les associations manquent de bénévoles et les collectivités locales d’élus, on désigne, on humilie, on garde à vue, on détruit tout ce qu’un élu a de plus sacré: son honneur.
Jean Germain, comme tant d’autres élus locaux, avait ce code d’honneur, c’est d’ailleurs ce qui différencie les Républicains des chiens.
Dans les médias, comme devant la justice, l’honneur, l’honorabilité ne vaut rien. C’est ainsi qu’un maire, certainement pas un ange, mais réélu de multiples fois à la tête d’une des plus belles et plus grandes villes de France peut rendre son dernier souffle dans un garage au bout de son fusil de chasse sans que cela n’entraîne la moindre enquête préliminaire, le moindre sentiment de culpabilité. A l’époque où le plus petit homicide est suivi d’un déploiement de moyens scientifiques impressionnant, la mort de Jean Germain, elle, s’expliquerait par des analyses rapides de comptoir, fragilité psychologique, déprime, défaite… Que sais-je ?
On s’interroge souvent pour connaître le moteur des élus. Savoir ce qui les pousse à conquérir et garder le pouvoir. On imagine toutes sortes de choses mais l’honneur est très certainement le dénominateur commun.
L’honneur est à l’œuvre à chaque fois que la République a besoin de ses fils et rien ne peut mieux expliquer que des femmes et des hommes se dévouent pour l’intérêt général dans une société individualiste où il serait si facile de ne penser qu’à soi.
Est-il si difficile de comprendre cela? C’est en tout cas l’enseignement que Jean Germain a considéré plus important que sa vie:
“Je sais le mal que je vais faire, la peine que je vais diffuser à ceux qui m’aiment. Mais on ne peut laisser la chasse systématique aux politiques se dérouler “normalement”, quotidiennement. Il est des êtres, j’en suis sûr, pour lesquels l’injustice et le déshonneur sont insupportables. Soyez sûrs que je n’ai jamais détourné un centime, que je ne me suis pas enrichi, que j’ai toujours œuvré pour ce que je pensais être le bonheur des Tourangeaux. Je laisse ce courrier à mes proches qui, je l’espère, pourront comme ça comprendre.”
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