Quel est l’objectif sociale de l’Europe ?
“L’Europe a mis fin aux guerres fratricides. Elle a établi la paix sur le continent. A défaut d’emprunter la voie de l’intégration politique, elle a dû se résigner à ne faire qu’organiser un marché commun. Elle a donc privilégié la liberté de circulation et la concurrence. Il s’agissait alors de donner satisfaction aux consommateurs, mais aussi de porter l’espoir d’une croissance soutenue et du plein emploi. Cependant, à l’heure de la mondialisation, le bilan est décevant. Notre Europe, ayons le courage de l’affirmer, s’est même avérée timorée et médiocre.
Les conséquences de la désindustrialisation dans l’Union Européenne
L’économie est atone. Le chômage de masse s’amplifie. La course aux prix toujours plus bas, l’ouverture toujours plus grande mais irréfléchie des marchés ont des conséquences. Ces derniers ont accéléré les délocalisations d’activités et d’emplois hors de l’espace européen. S’est ainsi enclenché un processus de désindustrialisation qui a jeté nombre de pays d’Europe dans l’enfer d’un chômage de masse au niveau socialement inacceptable. L’Europe a été par ailleurs étendue trop rapidement à des États dont les législations, les niveaux des salaires, les coûts du travail, varient de un à dix. Dans ces conditions, souligner que l’Union européenne n’est pas un espace économique optimal, c’est un euphémisme. Politiquement, économiquement, l’Europe d’aujourd’hui, c’est la résurgence de la tour de Babel d’hier.
La délocalisation des activités sur notre territoire
Au surplus, les règles édictées pour les détachements de collaborateurs donnent lieu à des optimisations. Celles-ci permettant à des salariés domiciliés dans des pays européens “low cost” de venir travailler dans des chantiers du bâtiment, des travaux publics, ou dans des entreprises du secteur agro-alimentaire. Cependant, salaires et charges sociales sont payés dans les pays d’origine : le dumping social est donc pratiqué en Europe ! Ces pratiques choquent les esprits, car personne n’osait imaginer que la délocalisation pouvait atteindre des activités par nature ancrées dans nos territoires. À la vérité, le phénomène est de même nature que la construction de voitures en Roumanie pour ensuite les commercialiser en France !
Comment lutter conte le dumping ?
Il n’est plus possible de laisser se développer, à l’intérieur de l’Union, des opérations de dumping social et de détournement des législations. L’Europe sociale ne peut plus attendre. L’urgence nous dicte une série de décisions et de mesures concrètes, précises, radicales, et surtout, courageuses.
En premier lieu, il faut suspendre l’élargissement. L’entrée de nouveaux pays dont les salaires horaires se limitent à quelques euros, dont les lois sociales sont lacunaires, multiplie les candidats au travail en détachement. Bien souvent, leurs interventions ont lieu sous l’appellation “prestations de services internationales”. Difficilement contrôlables dans le cadre des règles actuelles, tout pays nouvel entrant ne ferait qu’accroître le problème.
Toutefois, le plus urgent, ce qui a scandaleusement trop tardé, c’est la convergence des législations sociales et fiscales des États membres de l’Union. Si la France est légitimement attachée à son modèle social ; elle ne doit pas croire qu’il sera adopté en l’état par les autres pay. En effet, nos performances dans le commerce mondial ne plaident pas en sa faveur
. Du reste, il est des réformes que nous devrons décider nous-mêmes pour nous requalifier. N’attendons pas de l’Europe qu’elle les fasse à notre place. En particulier, il faut d’urgence alléger les charges sociales pour rétablir la compétitivité des entreprises et favoriser ainsi le retour du plein emploi. Par extension, la protection sociale ne peut plus être massivement financée par des cotisations sur les salaires. Il faut réduire très significativement le taux de ces prélèvements et le plafonner. Cela nécessite évidemment des ressources de compensation : réduction des dépenses publiques, supplément de TVA ? Sans doute les deux.
Par ailleurs, pour protéger l’emploi, l’Europe ne peut pas à la fois édicter des règles légitimes pour protéger l’écosystème, la santé, la qualité, l’exigence sociale, et accepter que des pays exportent en Europe des produits ne respectant aucune de ces obligations. Il est urgent de créer une redevance perçue dès l’instant où ces marchandises pénètrent le marché européen. Une “taxe carbone” aux frontières de l’Europe : voilà le bon moyen de lutter contre le dumping.
Un Erasmus pour l’emploi afin de lutter contre le chômage en masse en Europe
Le chômage des jeunes est en outre, au-delà des promesses fumeuses, le grand oublié des politiques publiques européennes et nationales. Il atteint des niveaux alarmants dans nombre de pays, en particulier au sud de l’Europe. Il est démontré que la formation en alternance, l’apprentissage, sont les voies les plus sûres pour l’accès des jeunes à l’emploi. Nous devons donc promouvoir cette formule et encourager les jeunes à la mobilité. Il faut concevoir un contrat unique d’apprentissage pour permettre à un jeune d’exercer facilement son premier emploi hors de son pays d’origine. Ce type de contrat serait un premier pas vers un vrai droit du travail européen. Il faut aussi prévoir d’aider les jeunes à se déplacer. Des bourses existent pour les étudiants dans le cadre de l’excellent programme “Erasmus” : faisons un “Erasmus du premier emploi”.
Certes, la concurrence stimule le progrès, mais à condition d’être encadrée par des principes de loyauté et d’équité entre acteurs soumis à des règles homogènes. En conséquence, l’intégration politique doit engager : plus de cohérence, plus de convergence, pour réconcilier au plus vite les consommateurs et les producteurs. S’ils ne font pas l’Europe sociale, les Européens mettent leur propre Union en danger de mort. De fait, n’oublions jamais ceci : l’Union est au service des hommes, et c’est même sa raison d’être.”
Jean Arthuis
8 avril 2014
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